Avec la Corée du Nord, une coopération à l’échelle locale

Avec la Corée du Nord, une coopération à l’échelle locale

Photo credits: @ED JONES / AFP

Par Philippe Pons. 

L’initiative est pour le moins inattendue : établir des liens entre les gouvernements locaux d’un pays fermé et sous le joug d’un des régimes les plus répressifs de la planète avec leurs homologues à travers le monde. Tel est néanmoins l’objectif de la première mission d’information de l’organisation mondiale Cités et gouvernements locaux unis (CGLU), qui s’est rendue fin novembre 2018 en Corée du Nord. Créée en 2004, CGLU, qui rassemble 240 000 collectivités locales dans 140 Etats, vise à promouvoir une diplomatie des villes en encourageant le dialogue et la solidarité entre les collectivités locales.

Conduite par le coprésident de CGLU, Roland Ries, maire de Strasbourg, et Tri Rismaharini, maire de Surabaya, seconde ville d’Indonésie, et vice-présidente de CGLU-ASPAC (section Asie Pacifique de CGLU), la mission s’est rendue à Pyongyang, Pyongsong (ville-satellite de la capitale) et Kaesong (ancienne capitale du royaume de Koryo, inscrite au Patrimoine mondial de l’humanité) afin d’identifier des domaines de coopération.
« Encouragé par le rapprochement rapide des deux Corées, le bureau exécutif de CGLU a décidé en mai de consolider cet élan en développant la collaboration entre des villes de la République populaire démocratique de Corée [RPDC] et du reste du monde, explique Roland Ries. Il ne s’agit pas de se substituer aux Etats, mais d’avoir une action complémentaire en tissant des liens entre les gouvernements locaux, d’autant plus nécessaires lorsque les États s’opposent – ou n’ont pas de relations diplomatiques, comme c’est le cas de la France et de la RPDC. »

« Construire la paix »

Sanctionnée par les Nations unies pour s’être dotée de capacités balistiques et nucléaires, la RPDC est au ban de la communauté internationale. « Nous cherchons à établir des liens en dissociant les impératifs stratégiques de ce qui relève de la coopération, sans bien entendu sous-estimer le facteur de déstabilisation mondiale que constitue l’armement nucléaire nord-coréen, mais aussi la situation déplorable des droits de l’homme dans ce pays, précise M. Ries.

CGLU soutient les besoins des populations locales, quelle que soit la couleur politique des gouvernements. C’est pourquoi nous souhaitons soutenir les efforts des autorités locales en RPDC. Si les deux Corées veulent construire la paix, n’est-ce pas le devoir de la communauté internationale de les aider ? »

Après une première réaction de surprise, les autorités nord-coréennes ont répondu favorablement à l’initiative de la CGLU. Des actions communes seront entreprises dans les prochains mois avec l’Indonésie en matière d’assainissement de l’eau – une des premières demandes formulée par la présidente du comité populaire de Pyongsong, Han Kyong-ok.

Un quart des forêts en RPDC a été détruit pour en faire du bois de chauffage

Bien qu’en pleine expansion en raison de sa proximité de Pyongyang, dont elle est le centre d’approvisionnement, et de ses instituts technologiques, Pyongsong souffre d’un système de voirie visiblement obsolète. Traitement de l’eau, gestion des déchets, recyclage et agriculture urbaine sont les domaines où sont envisagées des coopérations.

La reforestation pourrait en être un autre, en collaboration triangulaire avec la Corée du Sud : en raison de la famine du milieu des années 1990 et de ses suites, un quart des forêts en RPDC a été détruit pour en faire du bois de chauffage. Une collaboration intercoréenne en vue de la reforestation du nord de la péninsule a été décidée dès le premier sommet, en avril 2018, entre le président Moon Jae-in et le dirigeant Kim Jong-un.

Relative marge de manœuvre

Les comités populaires nord-coréens ont tendance à penser la coopération en termes de fourniture d’équipements ou de subsides. Leurs interlocuteurs de CGLU se sont efforcés de leur faire comprendre qu’ils ne sont pas des bailleurs de fonds et qu’il y a une procédure à suivre : établir des projets avec des experts des deux côtés, et ensuite trouver les financements. Selon Bernardia Irawati Tjandradewi, secrétaire générale d’ASPAC, « la réponse positive de notre partenaire, la Fédération des villes coréennes, membre d’ASPAC depuis 2013, est un signal d’ouverture que nous n’avions pas perçu auparavant ».

Bien que les décisions soient fortement centralisées et qu’il ne faille guère se faire d’illusion sur l’autonomie des autorités locales en RPDC, celles-ci disposent de facto d’une relative marge de manœuvre pour mettre en place des projets de développement qui sont autant de fenêtres de dialogue. « Nous ne pouvons procéder que par étapes : dans les semaines qui viennent, nous inviterons des experts nord-coréens de Pyongsong et de Kaesong à Surabaya, puis nous enverrons les nôtres dans ces deux villes », précise Tri Rismaharini.

L’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean) qui rassemble dix pays (soit 620 millions d’habitants) joue un rôle discret mais important dans le soutien à la politique de rapprochement intercoréen menée par le président sud-coréen Moon Jae-in. L’Indonésie, en particulier, s’était immédiatement portée candidate pour le sommet entre le président Donald Trump et le dirigeant Kim Jong-un, qui eut finalement lieu en juin 2018 à Singapour.

La mise en œuvre des projets de coopération intercoréenne, amorcée par la réouverture des routes et de la voie ferrée reliant les deux pays, décidés en septembre 2018 au cours du troisième sommet entre les dirigeants du Nord et du Sud, ainsi que la perspective d’une nouvelle rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-un, au début de l’année, sont symptomatiques d’une « accélération de l’Histoire dont il faut tenir compte pour créer rapidement des relais au dialogue stratégique », estime Roland Ries.

Source : Le Monde Publié le 02 janvier 2019